Iranian President Ebrahim Raisi speaks during a press conference in New York on September 22, 2022. (Photo by Ed JONES / AFP)

Le président iranien, Ebrahim Raïssi, est un proche du guide suprême iranien Ali Khamenei.

AFP

Pris au piège diplomatique. Dans une petite salle désuète du siège des Nations Unies, à New York, Emmanuel Macron n'avait plus le choix, ce 20 septembre : les photographes insistaient pour une poignée de main, alors le président français a dû poser aux côtés d'Ebrahim Raïssi, le président de l'Iran. Le lendemain, la photo était à la une de toute la presse pro-régime.

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Malgré le visage fermé du Français, ce cliché a provoqué la colère de l'opposition iranienne, alors que des milliers de manifestants risquaient leur vie pour crier leur colère après la mort de Mahsa Amini, arrêtée à Téhéran pour un voile mal mis. "Macron n'avait pas besoin de légitimer un homme comme Raïssi, souffle Hadi Ghaemi, directeur du Center for Human Rights in Iran. Il dit avoir abordé le soulèvement en Iran lors de leur rencontre, mais l'administration française est restée très discrète sur la situation depuis deux semaines. En étant silencieux, Macron trahit les valeurs du peuple français."

Une de Iran Newspaper du 21 septembre 2022

Emmanuel Macron et Ebrahim Raïssi à la une de Iran Newspaper, le 21 septembre 2022

© / DR

Emmanuel Macron le sait, poser avec un homme comme Ebrahim Raïssi n'est pas anodin. Le président iranien cultive une idéologie et une violence singulière, même pour un autocrate. Depuis 40 ans, ce soixantenaire à la barbe blanche parfaitement taillée a gravi tous les échelons de l'appareil judiciaire iranien grâce à sa loyauté sans faille et à sa brutalité. Président depuis un an, Raïssi reste fidèle à sa réputation et suit une ligne extrêmement dure. "Il est en train de ramener l'Iran dans la période sombre des années 1980, poursuit Hadi Ghaemi. Même avant cette vague de manifestations, le régime avait fait enfermer de nombreux universitaires ces derniers mois, des cinéastes, des personnalités du monde culturel, et les exécutions ont augmenté de façon spectaculaire. Raïssi a donné tous les pouvoirs à la police des moeurs et encouragé sa violence contre les femmes." En deux semaines de manifestations, plus de 70 personnes ont été tuées par les forces de l'ordre et 1 500 arrêtées.

Les massacres de prisonniers politiques en 1988, tournant de sa carrière

Ebrahim Raïssi est né à Machhad en 1960, dans la même ville que l'ayatollah Khamenei, actuel Guide suprême de la Révolution et donc véritable chef de l'État iranien. Un détail essentiel pour expliquer la carrière de cet homme. Il arrête sa scolarité après l'école primaire pour se consacrer à la religion. "Raïssi n'était personne, mais l'ayatollah Khamenei l'a pris sous son aile car ils venaient de la même région, dans le Nord-Est de l'Iran, précise Saeid Golkar, professeur à l'Université de Tennessee et auteur de Captive Society : The Basij Militia and Social Control in Iran (non traduit, 2015). La connexion géographique reste essentielle pour comprendre les relations entre les élites en Iran."

Un an après la Révolution islamique de 1979, Raïssi entame sa carrière judiciaire par des petits postes en province, jusqu'au tournant de 1988. Alors à Téhéran, il intègre le "comité de la mort", un groupe de quatre juristes chargés de mettre en oeuvre l'exécution de milliers de prisonniers politiques . A 27 ans, ce jeune procureur adjoint obéit avec zèle aux ordres du Guide de l'époque, l'ayatollah Khomeini. "Raïssi a du sang sur les mains, estime Kaveh Yazdani, professeur d'Histoire à l'université du Connecticut. En deux mois, environ 5 000 prisonniers de conscience ont été massacrés, la plupart pendus. Grâce à son rôle dans ce massacre, il a prouvé son obéissance à toute épreuve à la République islamique et il a pu faire progresser sa carrière de manière fulgurante, en parfait petit apparatchik." Aujourd'hui, malgré les preuves accablantes contre lui, le président iranien nie son implication dans le comité de la mort, tout en louant cette "épuration".

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La loyauté de Raïssi va l'emmener loin : procureur adjoint d'Iran en 2004, procureur général en 2014, directeur d'une des plus riches fondations religieuses du monde en 2016, et candidat malheureux à la présidentielle de 2017. Malgré le soutien de l'ayatollah Khamenei, Raïssi perd le vote populaire après la sortie d'enregistrements sonores prouvant son implication dans les massacres de 1988. En guise de consolation, le Guide de la Révolution le nomme chef du système judiciaire début 2019.

Quelques mois plus tard, en novembre, des milliers d'Iraniens descendent dans les rues pour se plaindre des prix de l'essence : la répression est particulièrement terrible, avec des centaines de victimes en à peine deux jours. Les chiffres restent opaques, mais on estime entre 300 et 1 500 le nombre de manifestants tués. Raïssi est chargé de la deuxième phase de la répression. Non seulement aucun membre du régime n'est inquiété par le pouvoir judiciaire, mais surtout des milliers d'opposants sont emprisonnés et plusieurs exécutés.

En bonne place pour succéder à l'ayatollah Khamenei

Une fois encore, il démontre toute sa loyauté et sa brutalité. "A l'inverse de Khamenei, Raïssi n'a rien accompli grâce à sa personnalité, son charisme ou son ambition, souligne Saeid Golkar. Il est l'idiot utile du régime : on lui a fait gagner du pouvoir petit à petit afin d'aider Khamenei à accomplir son rêve, celui de créer une société islamiste, prélude à une utopie islamiste." Aujourd'hui, Raïssi fait partie des potentiels successeurs de Khamenei, alors que le Guide de la Révolution serait atteint, à 83 ans, d'un cancer de la prostate.

Lors des élections de juin 2021, les ultraconservateurs décident de ne laisser aucune chance à la démocratie. Tous les concurrents réels de Raïssi sont évincés avant même le vote, et le candidat préféré de l'ayatollah Khamenei l'emporte dès le premier tour avec 72% des voix. Mais un problème de taille surgit pour la République islamique : l'abstention atteint des records, avec seulement 49% des Iraniens qui se rendent aux urnes officiellement. D'après les observateurs extérieurs, la participation n'aurait en réalité pas même dépassé 35%.

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Une crise de légitimité politique vient alors s'ajouter à l'isolement international de l'Iran et à sa situation économique catastrophique. "Cette élection marque un tournant pour les Iraniens, ils ont compris qu'ils ne pouvaient avoir aucun espoir de changement à l'intérieur même du système politique actuel, indique Hadi Ghaemi. Pour sortir du statu quo, ils ont tenté de négocier, de voter, de réformer, mais le gouvernement n'écoute rien et ne répond que par la force. Sans légitimité, cela semble être le début de la fin pour la République islamique."

La répression, une solution uniquement de court terme

A son retour de New York, Raïssi a isolé les manifestants du reste du monde en coupant Internet et l'accès aux applications de communication. Dans la pénombre, le régime peut alors réprimer. "La répression s'accentue chaque jour, soupire Hadi Ghaemi, du Center for Human Rights in Iran. Le nombre de morts s'annonce malheureusement bien plus élevé que ce qui a été annoncé."

Cette violence d'État peut freiner la révolte, mais les vagues de manifestations successives depuis 2017, notamment celles pour Mahsa Amini, ont soulevé un vent d'espoir chez les Iraniens en exil. "Toute cette douleur, tous ces griefs s'accumulent, et la République islamique se montre incapable de résoudre les problèmes, estime Saeid Golkar. Si le régime peut supprimer la contestation par la violence, ce n'est qu'une question de temps avant qu'une nouvelle vague de manifestations ne submerge l'Iran. Quelques mois peut-être. Il est toujours impossible de prédire avec exactitude la date du dernier jour d'un régime." Les manifestations continuent dans plusieurs grandes villes iraniennes. Contre la violence du régime, et contre Ebrahim Raïssi.

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