La fin du quinquennat ne sera donc pas que sanitaire, sécuritaire ou économique : le sujet migratoire est de retour. L’éternel recommencement de ce dossier inflammable sur lequel La République en marche (LRM) a déjà légiféré dans la douleur, les sensibilités les plus sociales de la majorité s’en seraient bien passées. Mais le thème est là, après l’assassinat de Samuel Paty, commis par un jeune homme d’origine tchétchène âgé de 18 ans qui avait obtenu le statut de réfugié par l’intermédiaire de ses parents ; après, aussi, l’attentat de Nice commis par un Tunisien de 21 ans arrivé en septembre clandestinement par l’île italienne de Lampedusa.
Le chef de l’Etat l’a dit, jeudi 5 novembre, depuis les Pyrénées-Orientales : « Des actions terroristes peuvent être menées par des personnes qui utilisent les flux migratoires pour menacer le sol national. » Une formule qui, malgré les précautions qui l’accompagnent (« il ne faut pas tout confondre »), ne laisse pas indifférente l’extrême droite. « Enfin, Macron fait le lien entre immigration et terrorisme », a tweeté l’eurodéputé du Rassemblement national Nicolas Bay, tout en exhortant le chef de l’Etat à « instaurer de vraies frontières nationales et européennes, premiers remparts contre les islamistes ! ».
« Ce sont les faits »
Depuis des semaines, les oppositions de droite lient sans réserve immigration et terrorisme. « Oui, je fais le lien entre terrorisme et immigration. Ce sont les faits », clamait encore, jeudi, le président des sénateurs Les Républicains (LR), Bruno Retailleau. Couverture médicale, droit d’asile, tous les chevaux de bataille usuels ressurgissent. Lundi, lors de l’adoption en première lecture du budget 2021 de la « mission santé », les députés LR ont appelé, en vain, à restreindre l’aide médicale d’Etat (AME), la couverture santé des étrangers en situation irrégulière. Au Sénat, mercredi, l’élue des Alpes-Maritimes Dominique Estrosi relançait l’exécutif : « Etes-vous prêts à revoir les critères d’obtention du droit d’asile, aujourd’hui trop souvent détourné ? »
« Touchy », « explosif », les premiers mots lâchés quand on aborde le sujet disent tout l’embarras qu’il suscite dans la majorité. L’enjeu est de taille : réussir à aborder la question migratoire, en ligne avec la volonté d’Emmanuel Macron de peser sur le régalien, sans verser dans la même rhétorique que l’opposition. Aussi prend-on des pincettes. « Il ne faudrait pas qu’on en arrive à légitimer des discours d’exclusion », estime ainsi le député LRM de l’Eure Bruno Questel, qui juge la question migratoire pertinente mais s’inquiète de possibles « sorties de route ». « On ne mêle pas l’immigration à la sécurité ou au terrorisme », assure, pour sa part, le député de la Vienne Sacha Houlié. Christophe Castaner, le président du groupe LRM à l’Assemblée nationale, reconnaît qu’il y a désormais une question de terrorisme « endogène ou exogène », tout en réfutant les termes du débat tels qu’ils sont posés à droite et à l’extrême droite, liant terrorisme et immigration.
« Ce n’est pas l’opposition qui nous dicte l’agenda des sujets », s’agace la députée LRM des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel
Dans l’immédiat, le groupe a plutôt tenté de freiner l’irruption de ces sujets sur la scène parlementaire. « Ce n’est pas l’opposition qui nous dicte l’agenda des sujets », s’agace la députée LRM des Bouches-du-Rhône Anne-Laurence Petel. Les députés ont notamment esquivé la possibilité, portée par Beauvau, de dispositions visant les mineurs isolés et les tests osseux pour déterminer la majorité dans la proposition de loi sur la sécurité globale, examinée la semaine du 9 novembre dans l’Hémicycle. Histoire d’éviter le mélange des genres, entre sécurité et asile, immigration et terrorisme. Vu la pression, l’évitement ne devrait plus durer longtemps. D’autant que, du point de vue législatif, le chef de l’Etat a dissipé, jeudi, le flou qui entourait ses intentions : « Nous prendrons les lois qui sont nécessaires, si elles correspondent à des besoins identifiés », a-t-il dit.
Une autre échappatoire
Pour un cadre de la majorité, cela ne veut pas dire que le texte séparatismes, attendu le 9 décembre en conseil des ministres, sera le véhicule de dispositions sur l’immigration. Certes, la succession des attentats fait qu’« il y a une tentation de durcir encore le texte de lutte contre les séparatismes » et « évidemment, l’agenda fait qu’on est tentés de faire l’amalgame », reconnaît-il. Mais, il le jure, une « muraille de Chine » a été érigée pour séparer les sujets intérieurs de ceux liés aux flux migratoires : « Le président de la République ne veut pas que nous cédions au moindre amalgame. »
D’autres ne verraient pas d’un mauvais œil l’arrivée d’un volet migratoire dans le texte séparatismes. Sur le flanc droit de l’« intergroupe » majoritaire, le président d’Agir, Olivier Becht, juge indispensable de remettre sur le métier le dossier migratoire, pourquoi pas en le liant aux questions d’intégration dans ce projet de loi. « Il ne faut pas une loi spécifique asile immigration, mais il faut traiter la question du flux migratoire en rapport avec les questions d’intégration et essayer de mieux passer au tamis les personnes qui arrivent », estime-t-il. Un autre député se contente d’un constat d’incertitude : « La présence du thème immigration au sein du texte séparatismes n’est pas encore calée… », croit-il savoir. Il existe certes une autre échappatoire pour des propositions en matière d’immigration : le débat annuel au Parlement sur la politique migratoire, installé en 2019. L’idée de l’organiser début décembre a circulé, mais le tout sera de ne pas le faire tomber en même temps que la présentation du projet de loi séparatismes. Histoire, encore une fois, d’éviter les amalgames.
Analyse. Le « en même temps » de Macron à l’épreuve du « séparatisme »
Décryptages. L’instruction à domicile sera limitée aux « impératifs de santé ».
Les propositions de Macron pour un islam « libéré des influences étrangères »
Edito du « Monde ». « Séparatisme » : une réponse de long terme
Discours. « Notre République a laissé faire la ghettoïsation »
Vidéo. « Nous avons nous-mêmes construit notre propre séparatisme », estime Emmanuel Macron
Contribuer
Réutiliser ce contenu