Au troisième jour de sa visite d'État aux États-Unis, le Président de la République Emmanuel Macron s'est rendu à La Nouvelle-Orléans en Louisiane, terreau de culture et de francophonie dans le pays et témoin de premier ordre des conséquences du dérèglement climatique. 

Le Président y a rencontré les acteurs locaux impliqués dans ces différents domaines et a prononcé en fin de visite un discours sur la relation franco-louisianaise où la Francophonie a été largement mise à l’honneur.

3 décembre 2022 - Seul le prononcé fait foi

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DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE SUR LA RELATION FRANCO-LOUISIANAISE ET LA FRANCOPHONIE.

Bravo ! Merci infiniment. Merci de votre accueil, merci aussi de nous accueillir dans ce merveilleux musée. 

Je voudrais vous saluer toutes et tous, et avec la délégation, les parlementaires, ministres, qui m'accompagnent, ambassadeurs, toutes celles et ceux qui sont à nos côtés, les artistes qui sont là aussi. Je voulais vous dire combien je suis heureux d'être parmi vous. C'était en 1976, la dernière fois. Certains s'en souviennent. Ça fait longtemps. Et pourtant, quand je suis arrivé tout à l'heure, j'ai eu comme le sentiment d'être à la maison, vraiment, dans une maison différente, et au fond, au milieu de ce que je qualifierais comme une familière étrangeté. Et c'est ça le parcours que nous avons depuis tout à l'heure et l'expérience parmi vous. 

C'est familier parce que notre langue est là, notre histoire est là. Parce qu'il y a ce lien absolument insécable, quels que soient les traités. Parce qu'au fond, la France, ça n'est que cinquante ans, si je puis dire, d'histoire ici. Mais quelque chose d'inséparable s'est tramé. Et puis l'étrangeté, parce que nous avons été accueillis par un banc de Black Indians à l'arrivée à l'aéroport, comme d'ailleurs un trait d'union formidable entre ce que Paris est en train d'organiser et le Musée Jacques Chirac Quai Branly qui fait une superbe exposition sur les Blacks Indians. Et cette familière étrangeté, c'est au fond ce que je ressens depuis que je suis là. 

Je crois que ça ressemble beaucoup à ce qu'est la France en vrai, parce que beaucoup de gens voudraient croire que nous sommes quelque chose d'immuable, de toujours écrit. Nous sommes un grand récit qui continue d'aller. Et la Louisiane n'a pas simplement fait partie de ce récit, grâce à des aventuriers, des pionniers géniaux qui ont réussi à convaincre Louis XIV. Puis on est sorti parce que d'autres ont décidé qu'il fallait financer des guerres plus européennes et donc céder ce territoire. Mais parce qu'ici, des femmes et des hommes aussi ont considéré que choisir une langue, c'était continuer d'être fidèle à des valeurs, à un combat, à leur histoire, à une identité et parce que des créoles blancs, des afro-descendants, qui aimaient tant le français, parce qu’aussi des Acadiens descendant dans une période si troublée et décidant de venir ici, ont en quelque sorte par une forme de malice de l'histoire, réussi à créer quelque chose d'unique, d'unique, littéralement, dans ce lieu. 

Alors, si je suis devant vous, au-delà de vous dire l'immense plaisir qui est le mien d'être là, c'est d'abord et avant tout pour vous dire qu'on va continuer de défendre cette langue qui a été ici défendue, choisie et dans cette terre où le Conseil pour le développement du français en Louisiane a été créé dès 1968. Je le cite en rappelant la juste formule parce que c'est la seule agence américaine dédiée au maintien de la langue française qui a constitué alors un vrai tournant. Ça s'est fait ici. Beaucoup de choses ont été faites. L'éducation du français, nous le savons, s'impose et beaucoup d'initiatives ont été prises sur le continent, mais en particulier ici. Mais, au-delà de ce qui a déjà été fait et ce qui est fait depuis tant d'années en Louisiane et qui, en quelque sorte, innerve, irrigue les efforts faits pour le français partout à travers, pas simplement les États-Unis d'Amérique, mais tout le continent, nous avons décidé d'aller plus loin, convaincus en effet que l'enseignement du français, c'est d'abord notre école et nos écoles et qu'au fond, pour beaucoup, l'expérience d'une deuxième ou troisième langue est absolument indispensable. 

Alors, il y avait une première étape qui avait été lancée en 2017 avec à New York, l'initiative que j'avais annoncée. Alors nous avons, je dois dire, un chic, en tant que Français, c'est qu'on prend beaucoup d'initiatives pour la langue française et la francophonie, mais généralement, on les prend en anglais. Ne me demandez pas pourquoi. Mais donc, en 2017, on a fait une grande initiative pour le français, le French Dual Language Fund, bien nommée, pour développer les filières bilingues francophones dans les écoles publiques américaines. Alors, cinq ans plus tard, grâce au soutien des mécènes qui ont investi près d’un million et demi de dollars dans la formation des enseignants, la création de ressources pédagogiques, l'embauche d'assistants de langue. Les résultats sont là et on a près de 35 000 élèves grâce à cette initiative dans vingt-neuf États. C'est une formidable réussite. 

Mais on souhaite maintenant l'élargir et donc, ce que je veux ici confirmer et détailler, en remerciant aussi celles et ceux qui l'ont rendu possible, c'est élargir et développer le français de la maternelle à l'enseignement supérieur en rendant surtout cet enseignement plus accessible à tous et en quelque sorte, en se battant un peu pour que le français ne soit pas simplement une langue qui est parfois vue comme un peu élitiste, même s'il faut garder cela, et je le dis sous le contrôle, le vôtre, mais aussi de grands talents américains qui nous font l'honneur de partager leur vie entre les États-Unis et la France, cher Douglas. C'est le sens donc de cette initiative « French for all », -c'est du bas breton, pour ceux qui ne reconnaîtrait pas-, que j'ai donc le plaisir de lancer aujourd'hui, grâce au généreux soutien des mécènes et je veux les citer : Chanel, la Jane and Alfred Rose Foundation, la Fondation Jeannine Manuel, la Société Générale, Hubert Joly et la Joly Family Foundation, la John & Cynthia Reed Foundation. Je n'ai oublié personne, Monsieur L'ambassadeur ? L'Ambassadeur a raison, il fait, si vous ne l'aviez pas compris, un appel plus large aux dons et à la mobilisation. Et je dois dire que sous l'autorité de notre ministre, l'Ambassadeur a fait un travail remarquable pour pouvoir lancer cette initiative. 

Ce que nous voulons véritablement faire et ce qui s'inscrit d’ailleurs en fidélité avec beaucoup de programmes qui ont été lancés ici et qui ont irrigué toute la région, c'est soutenir l'enseignement du français et des cultures francophones et de permettre en effet à des familles et des enfants qui viennent parfois du monde entier, qui peuvent venir d'Afrique, des Caraïbes et que les hasards de la vie ont amené sur cette terre et sur l'ensemble des États-Unis d'Amérique, qui sont allés même au-delà, de pouvoir avoir un enseignement aussi en français. Et donc de le sortir en quelque sorte un peu des chemins d'habitude tracés qui sont les nôtres et de permettre aussi d'en faire une langue d'opportunité culturelle, économique, d'émancipation pour des jeunes du monde entier qui viennent parfois de zones francophones et qui se retrouvent ici sur le sol américain et qui, en quelque sorte ont, nous le considérons aussi, le droit et la possibilité d'avoir accès à notre langue et de recevoir ses enseignements. 

Alors, en plus de tout ça, nous allons multiplier les initiatives aussi dans et avec les universités et ajouter des bourses de stages et des bourses pour des étudiants et en particulier des étudiants les plus défavorisés. Donc cette initiative soutiendra l'enseignement du français et des cultures francophones à l'université sur ces campus qui sont un foyer d'échanges intellectuel entre nos deux pays et à ces universités, nous offrirons, via le French higher Education Program des ressources pour proposer des curricula conformes aux meilleures pratiques qui sont relevées dans le pays, avec cent bourses de stages en France pour les étudiants les plus défavorisés, pour qu'ils puissent tirer profit des opportunités professionnelles qu'offrent la maîtrise de la langue française. 

Enfin, parce qu'il n'y a pas d'enseignement de français qui puisse fonctionner sans professeur de français, et je vous dis ça avec un conflit d'intérêt assumé, je veux aussi avoir une politique ambitieuse pour l'avenir de cette profession et donc avec, accrochez-vous, le New Pathways to Teaching French, nous contribuerons à former une nouvelle génération d'enseignants, à favoriser les doubles diplômes franco-américains en éducation et à octroyer 200 bourses de formation aux assistants de langues américains en France.

Voilà ce que je voulais devant vous détailler aujourd'hui. C'est ce nouveau programme qu'on va lancer qui est une initiative très forte et qui va nous permettre en quelque sorte de continuer le combat. Parce qu'ici, c'est vraiment un combat qui s'est mené. Et en annonçant ce programme ici, je voudrais finir par deux mots, un mot sur la francophonie et un mot sur vous, et en parlant de vous, de parler de l'idée que je me fais de la langue française. Ce programme s'inscrit dans tout ce que nous voulons continuer de relancer et de renforcer pour notre francophonie, parce que je suis convaincu que le français est une langue d'avenir, parce que nous allons avoir, par la démographie de nombre de pays francophones, en particulier sur le continent africain, une croissance démographique extraordinaire dans les années qui viennent et parce que je suis convaincu aussi que la francophonie, et vous l'avez formidablement démontré ici, ça n'appartient pas à la France. 

Je rappelle souvent d'ailleurs que la Francophonie est une organisation internationale qui a été inventée par des présidents africains et asiatiques, mais pas par un Président français. Et donc c'est, je dirais par essence, un projet politique de non-alignés, un projet politique décentré, décalé, mais avec une chose en partage : notre langue. Et la vitalité de cette langue, elle réside dans l'esprit de résistance des femmes et des hommes qui la font vivre, comme vous l'avez fait ici. Et elle réside dans l'inventivité de celles et ceux qui décident de créer dans cette langue. On a eu, il y a plusieurs années maintenant, un formidable prix Goncourt sur Vautrin qui a écrit sur le Cajun et qui a formidablement célébré ce territoire. Mais les Acadiens, les Cajuns, ont inventé des mots qui irriguent encore notre langue, ont montré leur vitalité, de la même manière qu'aujourd'hui, dans le bassin du fleuve Congo, d'autres inventent des mots qui vont rentrer dans notre dictionnaire et qui nous permettent de penser à la limite de ce qui est une langue académique. Et ce faisant, la Francophonie fait vivre ce qui est l'essence du français. 

Nous avons une Académie française que nous chérissons. Mais c'était un projet dès le début de maîtrise en quelque sorte. C'était pour mettre tout ça dans un cadre. C'était l'esprit classique. Mais l'histoire du français a été une bataille permanente entre des patois, des langues vernaculaires et une langue académique. Cette bataille n'a jamais été réglée et à la fin, Rabelais a gagné. Mais c'est vrai, et ce qu'a porté Rabelais, c'est justement ce langage fleuri qui invente des mots qu'il va chercher dans tous les territoires de la France hexagonale à l'époque, des inventions, des mots pour qualifier quelque chose qu'une langue trop académique ou qui ne vit que sur un fleuve et que sur une rive pourrait inventer. La francophonie permet cela. Et il faut continuer d'inventer des mots dans notre langue et ces mots sont ceux d'écrivains, de slameurs, de rappeurs, d'artistes. Mais cette langue est vivante. Elle va continuer de changer, de se transformer et c'est pour ça que je crois dans l'avenir de notre francophonie et que nous allons continuer un peu partout de pousser ces programmes pour l'expansion du français, mais avec, si j'ose dire, un visage nouveau, celui justement d'une langue ouverte, qui accepte et qui veut les innovations, qui va vivre de celles-ci. 

Et c'est d'ailleurs pour ça que nous avons décidé, et les membres l'ont accepté, d'accueillir le prochain Sommet international de la Francophonie en 2024 en France. Formidable nouvelle. Et nous allons le faire à Villers-Cotterêts. Et à Villers-Cotterêts, le président du Groupe d'amitié et de l'Aisne a porté ce projet avec force. Nous avons, je remercie encore infiniment CMN et Madame SENGHOR pour son engagement à ses côtés, fait un travail formidable que vous avez porté sur ce sujet ces dernières années. 

C'est qu'on a rénové le château de Villers-Cotterêts. Ça ne dit peut-être pas grand-chose à certains, mais ça dit toute notre langue. C'est le château où François Iᵉʳ a pris un édit qui a fait de la langue française la langue de l'administration, geste politique pour unifier la France, la langue avec l'Etat et ce qui a unifié la Nation en France. Ça a été un instrument de pouvoir. Ce château était tombé en ruine et cette ville, Villers-Cotterêts, quelques siècles plus tard, a été la ville où un général mulâtre, esclave émancipé, qui avait formidablement réussi dans les campagnes de Napoléon, est venu s'installer. Il s'appelait DUMAS et il a eu un enfant, Alexandre DUMAS, qui a fait vivre cette langue et qui est né à Villers-Cotterêts, et qui ensuite a fait un chemin initiatique pour partir à pied, raconte la légende, à Paris, quand il a décidé d'écrire, et il a fait rayonner notre langue partout dans le monde. Il était fils d'esclaves, élargis, émancipés. Et donc, Villers-Cotterêts est en quelque sorte un précipité de cette histoire. 

Mais surtout, nous avons créé la Cité internationale de la langue française et c'est un lieu d'éducation, d'invention, un lieu qui va reproduire l'Odyssée de la langue française où on parlera d’ici, des Caraïbes, du Pacifique, de l'Asie. Car c’est notre langue et de tous les continents, le soleil ne se couche jamais sur le français. Et ce sera aussi un lieu où on accueillera des résidences d'artistes comme des élèves à Villers-Cotterêts et la Louisiane s'y trouvera. Et donc, je voulais ici aussi vous confirmer cet engagement et vous dire que voilà, depuis la Nouvelle Orléans, Villers-Cotterêts est un trait d'union et que nous aurons l'occasion d'accueillir ce sommet international de la Francophonie en 2024. Et vous en serez toutes et tous parce que nous aurons rendu notre langue plus forte. 

Et enfin, je conclurai par vous dire en quoi, à mes yeux, la Louisiane et votre ville ont quelque chose d'unique et au fond, une forme de trésor pour ce qui est à la fois la France et la langue française. Parce qu'ici, vous avez décidé une fois pour toutes que la catastrophe serait féconde. Sur cette terre, il y a eu la traite, l'esclavage et nous y avons notre part de responsabilité. Puis il y a eu la séparation avec des arrêts fameux de la Cour suprême qui ont été déclenchés ici par des gestes forts, indispensables, militants. Mais votre terre, quand on regarde son histoire, ce lieu et les femmes et les hommes qui la composent, ont au fond en fait toujours décidé de ne jamais céder à ce qui sépare. Et je trouve que ce qui est extraordinairement impressionnant en Louisiane et à La Nouvelle-Orléans, c'est qu'au cœur de la catastrophe, à chaque fois, il a été décidé de créer et d'inventer des métissages. 

Les Black Indians, Emmanuel, que vous présentez en ce moment formidablement à Paris et qu'on a vu tout à l'heure, sont ce métissage assez unique, je crois pouvoir le dire, entre des Créoles, des Amérindiens, des Africains, parce qu'à un moment donné, les cultures se sont croisées, ont inventé. Et des Blacks Indians évidemment, au jazz, à la capacité à accueillir les Acadiens, à développer une langue nouvelle, à décider que le français, qui avait pu être une langue de traite, deviendrait une langue d'espoir et d'émancipation où, je le rappelle, dans vos journaux, dans l'Union, les premiers textes pour les droits civiques ont été publiés où les premiers textes que même certains en France n'avaient pas lu de Victor Hugo, expliquant ce qu’étaient les droits civiques étaient ici publiés dans les années 1860. Vous avez choisi l'avenir et le vrai visage de la France et le vrai visage du français qui est celui d'une Nation ouverte et qui, sur chaque morsure de l'histoire, décide de créer, d'inventer, de faire et de ne pas céder. 

Et donc, il y a à mes yeux quelque chose d'admirable à résumer au fond que je crois, nous espérons tous, dans des temps de division ou de risque de division. Et quand je regarde l'histoire singulière de La Nouvelle-Orléans, qui appartient à la fois à l'histoire des États-Unis et à l'histoire de la France et aussi à l'histoire de l'Afrique, ça n'est pas une histoire de Blancs, de Noirs, c'est une histoire de femmes et d'hommes de toutes origines, de toutes couleurs, qui ne parlaient pas la même langue, qui ne pratiquaient pas la même religion et qui se sont retrouvés au fond pour les seules bonnes raisons : embrasser un avenir possible et décider de créer ensemble quelque chose de beau et de fort. Et donc merci pour cela, parce que c'est un exemple d'un chemin possible à suivre, d'un chemin espéré, en tout cas de celui auquel je crois. Vive la France et vive la Louisiane ! Et laissez le bon temps rouler !

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