Abstract

Résumé:

Dans « Procès d'une sous-culture dominante » (1984), Mostefa Lacheraf dénonçait les cas selon lui les plus notoires d'une littérature de dupes « ignorant leur propre vérité nationale », et emblématiques d'un processus redoutable d'acculturation-assimilation. Au moment d'évoquer « la jeune littérature algérienne », c'est Leïla Sebbar qui devient sa cible, au motif qu'elle incarnerait « l'acquiescement à un sort définitif de paria qui doit être celui du Maghrébin en exil », « sur un fond de sombre délectation d'apatrides, nonobstant [une] identité nationale proclamée à haute voix ». Le procès, expéditif, est politique. Sebbar est jugée coupable de ne s'identifier nationalement à l'Algérie qu'à haute voix, quand son œuvre, complaisamment apatride, se délecterait de la condition exilique.

Et de fait, Mes Algéries en France (2004), Journal de mes Algéries (2005) et ses suites (jusqu'en 2008) et Voyage en Algéries autour de ma chambre (2008) outragent ostensiblement l'invariabilité codifiée des noms propres géographiques, qui n'ont couramment qu'un nombre, pour leur opposer un pluriel irrégulier. C'est à examiner les implications de ce coup de force linguistique et politique que cet article s'attelle. Que dit cette remise en cause de la notoriété supposée du propre ? De quels déplacements, de quels croisements du propre et du commun, du dénombrable et de l'indénombrable, du personnel et du collectif, d'hier et d'aujourd'hui, ce pluriel remarquable, Algéries, rend-il compte ? De quels partages et de quelles solitudes ? Dans quelle mesure, pour finir, peut-on entendre le singulier paradoxal de « la littérature du Divers » dans le -s de ces Algéries ?

Abstract:

In "Procès d'une sous-culture dominante" (1984), Mostefa Lacheraf denounced what he considered to be the most notorious cases of a literature written by dupes, guilty of "ignoring their own national truth" and emblematic of a dreadful process of acculturation-assimilation. When it comes to what he calls "la jeune littérature algérienne", Leïla Sebbar becomes his target, on the grounds that she embodies "acquiescence to a definitive fate of pariah that must be that of the Maghrebi in exile", "against a backdrop of dark delight in statelessness, notwithstanding [a] loudly proclaimed national identity". The trial – expedited – is a political one. Sebbar is deemed guilty of identifying nationally with Algeria in voice only, while her body of work remains complacently stateless, reveling in the exilic condition.

And indeed, Mes Algéries en France (2004), Journal de mes Algéries (2005) and its sequels (until 2008), and Voyage en Algéries autour de ma chambre (2008) ostensibly violate the codified invariability of geographical proper nouns, which commonly exist as singular entities, in order to oppose them with an irregular plural. This article examines the implications of this linguistic and political coup de force. What does this challenge to the supposed notoriety of the proper noun say? What displacements, what intersections of the proper and the common, the countable and the uncountable, the personal and the collective, the past and the present, does this remarkable plural – Algerias – reflect? What divisions and what solitudes does it take into account? And, ultimately, to what extent can we hear the paradoxical singularity of "la littérature du Divers" in the -s of these Algerias?

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