In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • À la recherche des archives exilées :Entretien avec Benjamin Stora
  • Marie-Pierre Ulloa (bio) and Benjamin Stora (bio)

Nous revenons dans cet entretien sur la singularité du rapport de l'historien Benjamin Stora aux archives. Né en Algérie en 1950, spécialiste de l'histoire de la guerre d'Algérie, de l'immigration maghrébine en France et des questions mémorielles liées à la colonisation française en contexte maghrébin, l'originalité de la démarche archivistique de l'historien s'exprime notamment à travers le rôle de son engagement politique dans son rapport aux archives au long cours. À travers cinquante ans de pratique et de réflexion sur la multiformité des archives, sur le(s) territoire(s) des archives (archives écrites/orales, archives dissidentes/archives militantes, archives visuelles, archives étatiques, archives autobiographiques et archive-fiction) et sur la dialectique de l'archive, c'est autant l'historien qui cherche et trouve l'archive que l'archive qui trouve l'historien, a fortiori après la publication de La Gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie (1991) qui lance la trajectoire médiatique de l'historien.

Marie-Pierre Ulloa (M.P.U.) :

La notion d'archives du Maghreb fait-elle sens pour vous ? Peut-on parler d'un concept d'archives maghrébines ?

Benjamin Stora (B.S.) :

Les archives maghrébines existent mais il faut les périodiser. Il y a les archives anté-coloniales, en continuité pour le Maroc ; [End Page 17] pour l'Algérie, avant la colonisation française, il faut aller vers les archives ottomanes mais il y a un problème de connaissance de la langue turque. Pour le Maroc, il y a les archives du Makhzen. Le Maroc n'a jamais été occupé par les Ottomans et les archives sont bien classées, bien organisées. Il y a là beaucoup d'archives car le Maroc n'a pas subi les coupures dues à la présence française. Après les Ottomans, c'est compliqué parce qu'il y a la perte de la langue arabe et les archives qui vont dominer à la fin du 19e siècle en Algérie sont en langue française. C'est le regard des Orientalistes, des architectes et des militaires qui peut être pris en compte. Il y a une littérature militaire et une littérature orientaliste intéressante (Isabelle Eberhardt) qui nous donnent les clés de découverte d'un paysage qu'on ne connaissait pas. Ce sont des sources incontestables mais du point de vue des gens eux-mêmes, des « indigènes », il y a très peu de choses parce qu'on a affaire au processus d'éradication de la culture qui est reléguée dans la sphère exclusivement religieuse, l'islam. On trouve ainsi davantage d'éléments sur les « indigènes » musulmans dans les archives des Oulémas. La masse d'archives possibles se trouve donc essentiellement en France pour l'examen de la période coloniale.

Il y a encore en Algérie des archives, notamment de la presse européenne, « pied-noire ». En 2019, alors que j'étais invité à Oran, le directeur du journal Le Quotidien d'Oran m'a fait visiter les archives de L'Écho d'Oran, très impressionnantes du temps de Pierre Lafont. Si un chercheur aujourd'hui voulait reconstituer l'univers des « pieds noirs » à Oran, il faut qu'il.elle aille à Oran. Il y a la collection complète du journal, des photos, des renseignements sur les compétitions sportives ou les parties de pétanque. Quand on va à Constantine et à Oran, il y a la surprise de découvrir tout ce que les Français ont laissé comme archives. Mais ces archives, quelquefois abandonnées ou mal classées, sont peu accessibles ; pourtant, le chercheur peut y découvrir des éléments intéressants, comme la proximité de vie entre les différentes communautés, malgré les séparations induites par la domination coloniale.

M.P.U. :

Vous dédiez votre dernier ouvrage en date, L'Histoire dessinée des juifs d'Algérie de l'Antiquit...

pdf

Share