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  • Introduction:Archiver le Maghreb
  • Marie-Pierre Ulloa (bio)

« Papa, qu'as-tu fait en Algérie ? » Enquête sur un silence familial de l'historienne Raphaëlle Branche débute par ces mots: « Dans les marges de mon premier livre sur la guerre d'Algérie, publié en 2001, Antonin avait tracé de nombreux points d'exclamation et noté quelques remarques. À la fin, j'invitais les lecteurs à s'emparer de cette histoire pour en faire d'autres récits » (2020: 7). Antonin Varenne fit lire La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie (Branche 2001) à son père, et la lecture libéra sa parole: « Antonin en fit un roman » (2020:7), Le Mur, le Kabyle et le marin (Varenne 2011). Les mots choisis par l'historienne sont précis: récits, roman. Il « en fit un roman », il aurait pu en faire un récit ou un livre d'entretiens ou choisir un autre format comme un roman graphique mais il choisit la forme romanesque pour évoquer la guerre d'Algérie de son père.

De même, en 2022, Alice Kaplan, professeure de littérature française à l'université de Yale, publiait son premier roman, Maison Atlas, inspiré par la découverte des archives d'une des dernières familles juives installées à Alger. Après avoir écrit des essais littéraires primés et prisés notamment pour son talent d'écriture (Kaplan 1993; 2000; 2012; 2016), Alice Kaplan sauta le pas de la fiction. Dans l'architecture de la mise en page, l'auteure dissocie visuellement ce qui relève des archives et des faits historiques en utilisant le recours à l'italique pour faire signe aux lecteurs [End Page 7] et les différencier de ce qui relève de son imagination et qui suit la trame narrative de l'histoire d'amour triangulaire qu'elle a fabriquée entre le Minnesota, Bordeaux et Alger. Elle introduit ainsi cet avertissement: « les lieux, les faits et les personnages dépeints ici s'inspirent de la réalité. Je les ai cependant transposés, déplacés et condensés pour créer un univers fictif » (2022:7). Le roman est simultanément publié aux éditions Le Bruit du monde et aux éditions Barzakh, et la quatrième de couverture de l'édition algérienne évoque ses « liberté fictionnelle et rigueur historique ». En effet, si les protagonistes principaux sont des personnages fictifs, Alice Kaplan fait entrer le réel avec ses personnes secondaires qui ont existé et qui, pour certains, étaient des figures historiques tels Roger Saïd et le bachaga Boutaleb ou encore la figure populaire du football algérien Hocine « Yamaha », assassiné durant la « décennie noire ». Ainsi le roman est dépositaire de la substance des archives tout en prenant ses libertés avec l'histoire, en inventant une autre histoire. Un double mouvement s'opère, celui de la liberté historique et de la rigueur fictionnelle qui dévoile aussi les limites de trop attendre de la fiction: un roman n'est pas un essai historique et il faut savoir définition garder, mais la littérature peut dire autre chose qu'un livre d'histoire (voir notre entretien avec Benjamin Stora dans ces pages et Brozgal [2020: 70]). Dans le premier cas cité, c'est le livre d'une historienne qui inspire un roman; dans le cas suivant, c'est une historienne de la littérature qui s'empare de la fiction pour écrire une version imaginaire de l'histoire fondée sur des archives.

Ainsi à l'origine de ce numéro, il y a la question sans cesse renouvelée du sens de l'archive et celle des rapports entre littérature et archives, de la littérature archivante explorée sous d'autres auspices (Ulloa, Shemtov et Weisman 2016). Ces deux considérations entremêlées, il est heureux que mon désir de recherche des archives du Maghreb dans les arts verbaux et visuels ait rencontré l'intérêt et l'accueil de la revue Expressions Maghrébines. Je remercie vivement la directrice de la revue, Edwige Tamalet Talbayev pour son accompagnement exigeant, inspirant...

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